Alimentation et impact environnemental

Biodiversité alimentaire et mortalité dans 9 pays européens : analyse d’une étude de cohorte prospective

Equation nutrition - novembre 2021 - acutalité scinentifique - biodiversité alimentaire

| Thierry GIBAULT

Endocrinologue-nutritionniste, Paris, France

Les régimes alimentaires relient inextricablement la santé humaine et environnementale (Tilman, 2014).  Le système alimentaire mondial est le principal moteur de la perte de la biodiversité du système terrestre (Willett, 2019). Faciliter la transition des populations vers des régimes alimentaires à la fois nutritifs et durables est un enjeu majeur pour la santé humaine et environnementale. La diversité alimentaire est de plus en plus préconisée dans le cadre des recommandations nutritionnelles. La biodiversité alimentaire, définie comme la variété de plantes, d’animaux et d’autres organismes consommés entre des groupes alimentaires à l’échelle mondiale, est un levier potentiel pour l’amélioration de la santé publique et planétaire (FAO, 2017).

Ainsi, le concept de biodiversité alimentaire offre un point d’entrée unique et nouveau pour guider le développement de directives et d’interventions alimentaires durables couvrant la santé humaine et planétaire (OMS, 2020). Néanmoins, les preuves scientifiques sont une condition préalable pour comprendre les associations entre les paramètres de la biodiversité alimentaire et les principaux résultats en matière de santé. Jusqu’à présent, les preuves de l’association positive entre la richesse en espèces alimentaires – c’est-à-dire le nombre absolu d’espèces uniques consommées par un individu – et l’adéquation en micronutriments des régimes alimentaires sont limitées aux pays à revenu faible et intermédiaire. De plus, les relations entre la richesse en espèces alimentaires et les principaux résultats pour la santé n’ont été évaluées dans aucune population.

Dans cette étude, les auteurs ont examiné les associations entre la richesse en espèces alimentaires et la mortalité totale et par cause dans une cohorte paneuropéenne vaste et diversifiée, l’European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition (EPIC) (voir ci-dessous l’encadré « Méthodologie »).

Une richesse en espèces alimentaires plus élevée est inversement associée au taux de mortalité

Dans la cohorte EPIC, deux espèces cultivées (blé tendre et pomme de terre) et deux espèces animales (vache et porc) représentaient environ 45 % de l’apport énergétique alimentaire total. Après un suivi médian de 17 ans, 44 892 décès sont survenus, dont 19 284 par cancer, 11 353 par maladies de l’appareil circulatoire, 2 479 par maladies de l’appareil respiratoire et 1 386 par maladies de l’appareil digestif. Dans l’ensemble, une richesse en espèces alimentaires plus élevée était inversement associée au taux de mortalité toutes causes confondues. Des associations inverses significatives ont également été observées avec les décès dus au cancer, aux maladies cardiaques, aux maladies digestives et aux maladies respiratoires, après prise en compte des facteurs sociodémographiques, du mode de vie et d’autres facteurs de risque alimentaires connus (score relatif du régime méditerranéen, viande rouge et transformée, fibres et apport énergétique total).

Les bases d’un régime alimentaire diversifié et respectueux de l’environnement

En conclusion, les résultats de cette étude prospective, réalisée sur une grande cohorte paneuropéenne avec des profils et des habitudes alimentaires divers, suggèrent qu’une richesse en espèces alimentaires plus élevée est associée à des taux plus faibles de mortalité totale et spécifique, indépendamment des autres composants de la qualité du régime alimentaire. Cela renforce la pertinence des mesures de santé publique prônant une « biodiversité alimentaire » visant à influencer la santé au niveau national et supranational. De futures études sur l’impact environnemental (émissions de gaz à effet de serre, utilisation des terres et de l’eau) doivent être menées. Cela compléterait les stratégies, telles que les recommandations alimentaires, en mettant en place les bases d’une alimentation diversifiée et respectueuse de l’environnement, mélangeant des types d’aliments distincts entre des groupes d’aliments, et en mettant en évidence les espèces alimentaires pour lesquelles une consommation raisonnée doit être privilégiée pour la santé publique et planétaire.

Messages clés :

  • Une richesse en espèces alimentaires plus élevée était inversement associée à la mortalité totale et par cause, indépendamment des facteurs sociodémographiques, du mode de vie et d’autres facteurs de risque alimentaires.
  • Une richesse en espèces alimentaires était également inversement associée aux décès dus au cancer, aux maladies cardiaques, aux maladies digestives et aux maladies respiratoires.
  • Les résultats soutiennent le potentiel de la biodiversité alimentaire en tant que principe directeur des recommandations alimentaires en matière de durabilité et de nutrition.

Méthodologie :

  • Echantillon : 451 390 adultes (71% de femmes, âge moyen 51 ans) inclus dans l’European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition (EPIC)
  • L’étude EPIC est une cohorte prospective multicentrique examinant, chez plus de 500 000 volontaires dans 10 pays européens (Danemark, France, Allemagne, Grèce, Italie, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède et Royaume-Uni) les facteurs métaboliques, alimentaires, de mode de vie et environnementaux en relation avec le cancer et d’autres maladies chroniques.
  • Les apports alimentaires ont été évalués lors du recrutement à l’aide de questionnaires alimentaires spécifiques au pays.
  • La DSR du régime alimentaire annuel d’un individu a été calculée sur la base du nombre absolu d’espèces biologiques uniques dans chaque aliment et boisson (composite).
  • Les associations ont été évaluées statistiquement.

 

 

Thierry Gibault
Nutritionniste, endocrinologue, Paris - FRANCE
D'après: Hanley-Cook G.T et al, Food biodiversity and total and cause-specific mortality in 9 European countries: An analysis of a prospective cohort study PLOS Med. 2021; 18(10):e1003834.
  • Tilman D, Clark M. Global diets link environmental sustainability and human health. Nature. 2014;515:518–22.
  • Willett WC, et al. Food in the Anthropocene: the EAT–Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems. Lancet. 2019;6736:3–49.
  • Food and Agriculture Organization of the United Nations, Bioversity International. Guildelines on assessing biodiverse foods in dietary intake surveys. Rome, Italy: FAO; 2017.
  • World Health Organization. Guidance on mainstreaming biodiversity for nutrition and health. Geneva: WHO; 2020.
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