Modélisation : des outils au service de la conception de régimes alimentaires sains et durables

Du global au local : intégrer la durabilité dans les recommandations alimentaires présente de nombreux défis et nécessite d’impliquer tous les acteurs des systèmes alimentaires

Alimentation saine groupe d'amis mangeant ensemble

Les systèmes alimentaires font actuellement face à un double enjeu : le poids des maladies chroniques et le dérèglement climatique. Améliorer la durabilité des systèmes alimentaires et des consommations est un élément de réponse dans les deux cas. Pour y parvenir, des travaux de recherche sont en cours dans l’optique élaborer des recommandations alimentaires durables vers lesquelles accompagner les populations. Un article récent présente et analyse des travaux réalisés au Royaume-Uni sur ce sujet. Ce travail illustre toute la complexité de l’exercice, notamment pour passer de cadres conceptuels globaux à une échelle concrète et adaptée localement.

La nécessité de faire évoluer les habitudes et systèmes alimentaires dans un objectif de santé et de durabilité fait aujourd’hui consensus. Organiser la transition des systèmes alimentaires actuels vers des systèmes qui permettent de trouver le juste équilibre entre santé humaine et environnement est ainsi un scénario « gagnant-gagnant » (Clark et al., 2019 ; Willett et al., 2019). Pour autant, la manière d’y parvenir reste un enjeu scientifique et politique fort.

En effet, si les principes de ce qu’est une alimentation durable ont été définis au niveau global par la FAO. La traduction concrète et locale en recommandations alimentaires fait face à de nombreux enjeux de recherche (qualité et disponibilité des données, articulation des différentes dimensions de la durabilité, …), mais également à des questions économiques et sociales – habitudes et besoins nutritionnels des populations, aliments disponibles, acceptabilité et accessibilité des régimes proposés, capacité agricole et logistique de la région etc. De nombreux guides réalisés par des autorités nationales ou des acteurs privés (association/fondations) cherchent ainsi à orienter les changements à opérer pour organiser la transition nécessaire (Gonzales Fischer et al, 2019).

Un article récent (Steenson et al., 2020) présente et analyse des travaux et initiatives réalisées au Royaume-Uni pour élaborer des recommandations alimentaires durables. Cet exemple illustre toute la complexité, les difficultés et questions restant à lever pour passer du global au local.

Les recommandations internationales et modèle globaux fournissent une cible générale

Ainsi que le rappellent les auteurs, le cadre actuel permettant de réfléchir les régimes alimentaires durables reste la définition proposée en 2010, par la FAO (FAO, 2010). Selon cette définition, les régimes alimentaires durables incluent les dimensions d’impact environnemental, d’adéquation nutritionnelle, d’accessibilité et de développement économique. A partir de cette définition, des travaux de modélisation incluant une ou plusieurs dimensions de la durabilité ont été développés pour proposer des régimes alimentaires théoriques et des recommandations à l’échelle internationale et nationale.

En 2019, la commission EAT-Lancet regroupant des experts en alimentation, santé publique et environnement a notamment publié un rapport dans le journal biomédical The Lancet qui propose les principes d’un « régime mondial bon pour la santé et l’environnement ». Selon les membres de la Commission EAT-Lancet, ce régime pourrait nourrir 10 milliards d’humains d’ici 2050 et prévenir 11 millions de décès prématurés dans le monde (19-24% des décès annuels chez les adultes). Il ne s’agit cependant pas d’un régime exact à suivre par tous, mais d’options de consommation par groupes d’aliments.

The Planetary Health Plate.
Figure 1 : Modèle alimentaire proposé par la commission EAT-Lancet, 2019

Ces recommandations ont été reprises et complétées par de nombreuses organisations comme World Wide Fund for Nature (WWF), au Royaume-Uni. Ainsi l’agro-biodiversité, le maintien des habitats naturels ; la préservation des écosystèmes, la résilience des paysages sont inclus dans ces modèles et se traduisent dans des recommandations nationales, partagées auprès des politiques et autres parties prenantes (WWF UK, Livewell, 2020  ; WWF France, assiette durable, 2020).

Cependant, comme le soulignent Steenson et al., si les avantages pour l’environnement et la santé d’une transition vers des régimes alimentaires sains et durables sont bien documentés, les conséquences pour les producteurs, les transformateurs et les autres acteurs du secteur alimentaire sont moins connues (Park et al, 2020). De même, l’accessibilité – c’est-à-dire la disponibilité de l’offre alimentaire, et son prix – n’est que très rarement intégrée dans les recommandations issues de ces modèles (Hirvonen et al, 2019).

Ainsi, l’acceptabilité sociale et l’impact nutritionnel individuel demeurent des déterminants à intégrer (Touzard et al, 2014) en prenant en compte des spécificités locales comme les traditions culinaires, les besoins nutritionnels selon les populations, etc.

EAT WELL un guide plus en lien avec la réalité mais nécessitant des compléments

Pour ce faire, d’autres approches basées cette fois ci sur l’optimisation des consommations réelles ont été explorées. Basé sur les habitudes alimentaires, et développé en 2016 par Scarborough et al, le guide britannique EAT WELL propose, ainsi, avant tout des recommandations alimentaires pour encourager les citoyens britanniques à adopter des régimes plus sains (UK government, EAT WELL Guide, 2016).

Comme le soulignent Steenson et al, le travail de modélisation de Scarborough et al. n’inclue pas spécifiquement les contraintes liées à la durabilité. Cependant, une analyse commandée par Public Health England et réalisée par le Carbon Trust a révélé que si le régime alimentaire représenté dans le guide Eatwell était adopté par tous les adultes britanniques, il en résulterait une réduction de 32% de l’impact global sur l’environnement, y compris une réduction des émissions de gaz à effet de serre (Carbon Trust, 2016).

La modélisation de Reynolds et al. a complété l’approche en y incluant les revenus des foyers britanniques et la part réservée aux achats alimentaires. Cette étude illustre que le revenu du foyer est un cadre de raisonnement essentiel et que les recommandations alimentaires développées doivent être adaptées selon ce cadre. Ainsi, la transition vers des systèmes alimentaires durables va nécessiter plus de changements pour les populations à faible revenus (Reynolds et al. 2019).

Selon Steenson et al, encourager les consommateurs britanniques à suivre les recommandations nutritionnelles existantes aurait des effets bénéfiques en termes d’amélioration de la santé de la population et de réduction de l’impact environnemental mais l’adoption par la population devra être adaptée.

Parmi les marges d’amélioration du guide Eat Well les auteurs pointent la prise en compte du gaspillage alimentaire et les différents bénéfices individuels et collectifs qui sont associés à sa réduction. Selon eux, le gaspillage alimentaire pourrait aussi être un « catalyseur » des changements de régimes, si les gains économiques pour les foyers étaient mis en avant au même titre que son cout environnemental (Gonzalez et al, 2020).

Augmenter de la part végétale des régimes doit rester cadré par les besoins nutritionnels des populations et des individus

Parmi les points de vigilance essentiels identifiés par Steenson et al. pour la définition de recommandations alimentaires durables figure la couverture des besoins nutritionnels des populations. En effet, alors que les connaissances sur les impacts environnementaux et les données associées sont encore construction, certains guides ou communications pourraient encourager les populations à exclure totalement ou à substituer certains groupes d’aliments. Définir des recommandations alimentaires adaptées aux contextes locaux demande ainsi de prendre en compte les besoins nutritionnels et la place des groupes d’aliments dans les régimes alimentaires traditionnels. Ainsi que le rapporte Steenson et al, la  British Dietetic Association (BDA) mène actuellement un projet (One Blue Dot) sur les régimes alimentaires écologiquement viables et ne soutient pas l’idée qu’une alimentation durable doit être végétalienne ou végétarienne, même si les bénéfices de ces régimes sur l’environnement pourraient être très important.

En effet, la viande et les produits d’origine animale (fromage, laitages, œufs etc) constituent des éléments centraux des habitudes alimentaires britanniques.  Ce sont par ailleurs des vecteurs clés de nutriments spécifiques – fer, iode, vitamine D et B12, sélénium … En supprimant ou en restreignant drastiquement la consommation de ces groupes d’aliments sans alternative adéquant, les régimes végétariens ou végétaliens pourraient accentuer les inadéquations nutritionnelles déjà constatées dans la population britannique (cf. tableau 1).

 Homme (19-64 ans)Femme (19-64 ans)
Fer227
Calcium711
Iode915
Zinc78
Magnésium1411
Selenium2547
Riboflavine614

Tableau 1 : Part de la population britannique (en %) en deçà des recommandations nutritionnelles (Public Health England, 2016)

Ainsi, afin de concilier santé et impact environnemental, la British Dietetic Association recommande que les individus prennent des mesures modestes mais réalisables pour adapter leur régime alimentaire et réduire leur consommation de viande et de produits laitiers, avec pour objectif à plus long terme d’atteindre les conseils du Eatwell Guide du gouvernement britannique. L’association insiste aussi sur la nécessité de prendre en compte l’appropriation culturelle des régimes proposés, comme un élément clé de changement, cette appropriation reste peu éprouvée aujourd’hui.

En conclusion de ce travail, Steenson et al soulignent que l’optimisation des modèles théoriques et des guides qui en découlent est une des solutions pour réussir à appliquer la définition des régimes alimentaires durables de la FAO. Cependant, aujourd’hui aucune de ces études n’a permis de prendre en compte toutes les dimensions de la définition (Dussiot A, 2022). Accompagner les consommateurs avec un principe de réalité est également une des solutions pour enclencher le changement tout en évitant d’induire des effets négatifs notamment sur la partie nutritionnelle. Enfin, les auteurs rappellent qu’œuvrer à la transformation des systèmes alimentaires nécessite de comprendre ces dits systèmes à l’échelle la plus appropriée et avec les acteurs les plus légitimes, c’est-à-dire les plus impliqués (David-Benz et al, 2022).

Basé sur : Steenson, S. and Buttriss, J.L. The challenges of defining a healthy and ‘sustainable’ diet. Nutr Bull, 2020; 45: 206-222.

Méthodologie
Messages clés
  • Concilier environnement et nutrition semble réalisable.
  • Certaines dimensions de la définition des régimes durables de la FAO restent à intégrer dans les recommandations .
  • L’adaptation locale des modèles est indispensable pour garantir l’équilibre entre nutrition et durabilité.
  • Le gaspillage alimentaire, les traditions culinaires et l’impact social restent à intégrer.
Références
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